Le Big Data apporte la promesse d’un nouveau marketing. Pas seulement d’un point de vue quantitatif, mais aussi et surtout d’un point de vue qualitatif. Ce renouveau du marketing ne fait cependant pas l’unanimité parmi les marketeurs, qui ne voient pas toujours ce qu’ils peuvent tirer de cette innovation, ni comment y arriver. Comme tout changement, il rencontre ses détracteurs, jusque-là, rien d’anormal. Alors, que penser de ces études qui dressent un portrait peu engageant des Big Data. Arrêt sur image et analyse…
Un rappel : le marketing de l’incertain
Ce formidable essor du quantitatif dans le monde du marketing, dans un sens n’est pas complètement nouveau. Alors stagiaire dans le début des années 80, j’utilisais déjà, même si c’était bien en avance de phase je le reconnais, des logiciels d’analyse de données basiques comme Multiplan (voir ici la brochure Burroughs de 1982), pour effectuer des analyses statistiques sophistiquées, sur la base de questionnaires utilisés dans le cadre d’un lancement de produit dans le bâtiment industriel. Dans un sens, la manipulation statistique est loin d’avoir commencé avec les ordinateurs, c’est plutôt l’inverse.
Ceux-ci sont arrivés pour automatiser et accélérer les calculs. Mais la massification des données et de leur traitement apporte indéniablement un bouleversement dans le monde du marketing qui se trouve confronté à une multiplication foisonnante de données, ce qui peut parfois faire perdre leurs repères aux utilisateurs au lieu de les guider. C’est ce que nous avons déjà décrit dans un article précédent, que nous avons intitulé « Big Data : moteur du marketing de l’incertain » : cet incroyable accroissement du quantitatif n’apporte pas toujours une certitude, mais dans bien des cas, une incertitude.
Cet accroissement d’incertitude, paradoxale puisqu’on mesure de plus en plus de choses, n’est pas complètement étrangère à la résistance au changement que nous voyons se dessiner au travers de divers articles que nous décrirons un peu après. Mais avant tout, il faut rappeler qu’avec l’avènement de ce marketing de l’incertain, c’est la logique du marketing qui est différente, avec sa démarche inductive faite d’essais, d’erreurs et d’hypothèses.
Un public peu familiarisé avec les données et qui devra se former
Le marketeur, pour profiter pleinement de ces Big Data, doit apprendre à se familiariser avec les données et leur analyse massive, et surtout tout le vocabulaire et la technologie qui les entourent ; surtout s’il ne comprend pas tout ce qui se passe… Car personne ne comprend totalement, tout ce qui se passe.
Il faut surtout que le marketeur en question aiguise son esprit critique sur la donnée, malgré, ou à cause d’ailleurs de ces zones d’ombre dues à la complexité liée aux Big Data et à ce foisonnement décrit par Frédéric Dulac dans cette vidéo. Mais voilà, pour être capable de dépasser un problème, il faut encore le comprendre et c’est là que le bât blesse. En effet, les connaissances des marketeurs en données, comme j’ai pu le vivre sur le terrain est très faible, c’est un euphémisme. Et d’ailleurs, ce n’est pas que moi qui le dit.
Les faits : de nombreux articles font état des difficultés les marketeurs vis-à-vis des big data
Et ce constat se retrouve aussi dans les études qui sont publiées ici et là et qui font état de leur incompréhension quant à l’apport possible des Big Data en marketing.
Ce qui peut être vu par certains comme une chance de s’améliorer et de découvrir une nouvelle façon de travailler, est malheureusement souvent décrit comme un mur infranchissable par de nombreux marketeurs. Ceux-ci voient dans cette manipulation de l’incertitude, un objet étrange, voire même illogique. Alors qu’en fait, même en sciences, surtout en sciences, cette manipulation de l’incertitude est quelque chose de classique et d’intégré (à ce sujet il faut lire ou relire le livre « Entre le cristal et la fumée. Essai sur l’organisation du vivant » écrit par Henri Atlan par exemple, un livre assez ardu, mais qui fait autorité sur la question).
Ainsi, citons les articles suivants, récemment parus, et qui signalent la frustration croissante des professionnels du marketing vis-à-vis des opportunités offertes par les Big Data, opportunités qui leur paraissent parfois un peu abstraites, difficiles à saisir dans la vie de tous les jours :
- Oops: Big Data baffles most marketers
- Use of Big Data frustrates customers just as it baffles marketers
Anecdotes vécues : les marketeurs face à la donnée
Nous pouvons aussi ajouter à ce qui précède quelques anecdotes à ce sujet rencontrées ici et là sur le terrain, qui parleront plus que des statistiques anonymes et américaines :
Ma première anecdote se réfère à ce travail mené dans une entreprise de haute technologie (sic ! Nous citerons pas le nom de l’entreprise bien entendu, d’autant plus que le cas n’est pas isolé) où demandant à un directeur marketing en charge d’un produit qu’il vend depuis 15 ans, de me décrire le profil de ses clients, je me vis répondre « je l’ignore, moi je suis uniquement marketing produit, et pas marketing clients ».
N’ayant pas bien compris la réponse et étant fidèle à ma réputation de Breton têtu, je suis parti à la chasse aux informations et ayant pu, à force d’opiniâtreté, réunir trois ou quatre bases de données hétéroclites, j’ai fini par rassembler quelques données de base, bien maigres, sur les profils en question : notamment en termes de géographies et de secteurs.
Le simple fait d’avoir fait une jointure dans Microsoft Access pour déduire la région à partir des codes postaux, puis d’en avoir fait des sous totaux par région et des statistiques, opération qui ferait rire un statisticien, m’a valu des regards d’étonnement et des commentaires d’admiration que je ne méritais certainement pas. Le simple manque de curiosité et de capacité à manipuler la donnée pour arriver à un résultat paraissait absolument hallucinant, mais il est bien représentatif de ce qu’on voit dans les entreprises ; ne croyez pas que je caricature.
Le marketing de la performance
Et puis il y a le marketing de la performance censé produire le fameux ROI, le retour sur investissement, si souvent brandi par les marketeurs pour différer voire annuler un investissement pourtant nécessaire. Premier argument soulevé par la plupart des marketeurs que je rencontre, le ROI semble être le mot sésame et indispensable pour avoir le droit de rentrer dans le temple du marketing lorsqu’on est un simple expert du Web.
Et pourtant ! Mes nombreux calcul de ROI, y compris les calculs réalisés sur les équivalents publicitaires au travers du marketing du bouche-à-oreille dans les médias sociaux, ont toujours provoqué, à mon grand étonnement, une réaction médusée. Le calcul n’est pourtant pas si savant, et je ne suis jamais allé bien au-delà de la moyenne pondérée. Ne riez pas encore, cela semble être la limite maximale acceptée par le marketeur standard. Moi qui étais toujours dernier de la classe en mathématiques, je me demande toujours comment j’ai pu faire pour me transformer en Savant.
Le marketing de l’incertain : exemples
Dernier exemple confondant de cette incapacité des marketeurs à comprendre la donnée, les réactions frappées d’étonnement et d’incompréhension autour de moi lorsque j’ai expliqué pour la première fois les concepts de segmentuition (développés par Pearson dans ce livre : Segmenter les marchés du futur) dans le cadre d’une solution développée en partenariat avec Get+ et que nous avons une nommée le retargeting B2B.
Avec cette solution, qui permet d’identifier les visiteurs d’un site et de leur attribuer une provenance, on réalise une segmentuition, soit une segmentation intuitive, qui permet de déduire des hypothèses de visites. C’est-à-dire que l’on part du principe que, n’étant pas capables de savoir qui vient exactement visiter le site à surveiller, en sélectionnant les cibles désirées à l’intérieur d’une base existante, et en les rapportant à une adresse IP associée à une entreprise, nous arrivons à reconstituer des hypothèses de visites qui finissent par se révéler vraies à terme. Et ce, car notre taux d’ouverture de 25 % notre taux de clic de 4 % en moyenne, font que les visiteurs ainsi rétro ciblés, finissent par devenir véritablement récurrents.
Comprendre le fonctionnement des données
On a ici un bon exemple de marketing de l’incertain : je pars d’une visite hypothétique, j’en déduis une segmentation intuitive, je finis par transformer des visiteurs putatifs en habitués d’un site Web. Rien de véritablement sorcier mais simplement du bon sens et du pragmatisme. Il suffit de comprendre un peu comment fonctionnent les données et ce qu’est une base de données et une jointure.
Ces quelques exemples très élémentaires, expliquent que quand il s’agit de passer à la vitesse supérieure, de comprendre les bases de données clef valeurs, ou de se représenter mentalement la fusion d’une base de données structurée et non structurée, il ne reste plus grand monde. C’est pour cela que l’effort d‘évangélisation autour des Big Data est énorme et que nous avons un gros travail à produire dans ce domaine pour arriver à un résultat qui soit plus performant.
Et pourtant, les opportunités sont nombreuses pour les marketeurs nous y reviendrons dans un article prochain, en les laissant digérer tranquillement la nécessité d’apprendre l’importance des données, de leur manipulation, et de la technologie nécessaire à celle-ci.
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