L’idée que les Data seraient le nouveau pétrole revient souvent. Mais bien que les données soient partout, une grande majorité d’entre elles sont stockées bien au frais, sont inertes et complètement inexploitées par les entreprises. Alors comment s’y prendre pour les valoriser ? Les réponses de Mick Levy, directeur de l’Innovation Business (Business & Decision), dans une nouvelle interview menée par Isabelle Barth et réalisée pour Xerfi Canal.
Isabelle Barth : Bonjour Mick ! Vous avez écrit un ouvrage de spécialistes, mais tout à fait accessible : « Sortez vos données du frigo – Pour une entreprise performante avec la Data et l’IA ». Je vais donc vous demander quelques conseils ! Où sont ces Data et pourquoi sont-elles stockées dans les « frigos » des entreprises ?
Mick Levy : Bonjour ! Effectivement, une statistique est très parlante : seulement 32 % des données sont exploitées par les entreprises. Nous avons une matière première dont dispose l’ensemble des entreprises qui est tout à fait sous-exploitée.
Toutes les entreprises ont des données sur leurs clients, leurs processus, fournisseurs, produits, modes de distribution… Ces données sont uniques, chaque entreprise est la seule à les connaître. Il va falloir les valoriser fortement puisque cette Data permet de dégager directement un fort retour sur investissement. On parle du pétrole du XXIème siècle, expression bien connue qui comprend aussi une réalité économique.
Isabelle Barth : Les valoriser pour les rendre plus chaudes donc. Avec l’image du frigo, les données sont refroidies… Alors comment fait-on ?
Mick Levy : Tout d’abord, le frigo représente les bases de données informationnelles des entreprises dans lesquelles les informations stockées sont nombreuses et qui sont, pour beaucoup, quasiment inertes.
Plus on vit, plus on crée de la donnée. Nous sommes donc face à une matière infinie dont on peut à peu près tous disposer.
Mick Levy
Isabelle Barth : Lorsque l’on parle de « données », cela peut être un fichier client, soit des choses simples en réalité ?
Mick Levy : C’est extrêmement large et oui, cela peut être un fichier client. On s’intéresse aussi de plus en plus à des données dites non structurées, des données texte, voire même des images. Il y a par exemple beaucoup de valeur à exploiter des images de la chaîne de production. Les images peuvent permettre avec de l’IA de détecter automatiquement s’il y a des défauts lors de la fabrication des produits. Les contrôles qualité peuvent donc être optimisés et automatisés pour être encore plus efficaces.
On s’intéresse ainsi à un ensemble extrêmement large de données. C’est passionnant car cette matière est très dynamique et peut être complétée avec des données externes à l’entreprise provenant de partenaires, de l’open data (données ouvertes, accessibles directement sur internet) voire créer de nouveaux dispositifs pour générer de nouvelles données. C’est notamment le cas avec les objets connectés, les capteurs sur l’IoT (internet des objets) qui vont générer énormément de données (si jamais on en manquait ! 😉).
Nous ne sommes pas près d’en être à court puisque, contrairement au pétrole, il ne s’agit pas d’une matière tarissable, bien au contraire ! Plus on vit, plus on crée de la donnée. Nous sommes donc face à une matière infinie et dont on peut à peu près tous disposer.
Isabelle Barth : Prenons un exemple simple. Imaginons une petite boutique obligée de se mettre au Click & Collect, et qui n’aurait pas su monter au fil des années son fichier client. Des initiatives existent-elles pour permettre à cette boutique de récupérer des données pour avoir des prospects ?
Mick Levy : Effectivement ! Cette petite boutique aura peut-être tout intérêt à s’allier à d’autres, au sein de ce que l’on appelle des places de marché (ou marketplaces). La marketplace va pouvoir proposer des services alternatifs à l’ensemble des boutiques.
On a tendance à penser uniquement aux grandes entreprises au sujet des Data. Mais en réalité, cela concerne aussi de toutes petites organisations. Je vais vous donner un exemple concret venant d’un confrère.
Il s’agit d’une entreprise qui commercialise des objets pour les mairies, tels que les médailles remises lors de cérémonies, baptêmes civils, mariages… En résumé tous les « goodies » offerts par les collectivités.
On peut se demander ce que vient faire la Data là-dedans ? Eh bien, une application très simple a été mise en place à partir des données de l’Open Data. Il a ainsi été possible de donner à cette entreprise des prévisions sur le nombre de naissances et de mariages qu’il allait y avoir dans chacune des villes de France. Elle peut ainsi prévoir au mieux sa production, son activité, voir à quelle ville proposer quel type de produit, etc. A partir de données dont elles ne disposaient pas à l’origine, elle a pu créer de nouveaux services, se développer et améliorer son efficacité globale.
La nécessité de mettre fin à la tragédie des silos
Isabelle Barth : Lorsque l’on est dans une très grande entreprise, il y a les fameux silos ! Il y a alors des bouts de fichiers par ci, par là avec des informations d’un même contact ou produit qui se trouvent à plusieurs endroits de l’entreprise. Cela demande de travailler différemment…
Mick Levy : On peut parler de véritable tragédie des silos pour les entreprises ! Elle se manifeste de différentes manières selon le secteur et l’histoire de l’entreprise : silos organisationnels, silos produits, silos des canaux de vente… Tous ces silos se sont retrouvés dans le découpage du SI. C’est pourquoi, on peut retrouver des traces d’un client dans 3-4-5 systèmes d’information différents… voire 20 (j’ai rencontré ce cas !).
Pour avoir une vision 360° du client et optimiser l’expérience client, il est alors essentiel de montrer qu’on le connaît et qu’on est attentif à ce qu’il dit. Il va donc falloir réconcilier les 20 SI différents. C’est un véritable challenge, y compris en termes de qualité de données, de croisement de données pour parvenir à une vision cohérente de ce client et permettre de créer les meilleurs services.
Cette tragédie des silos tient à l’organisation, au développement, à l’histoire de l’entreprise, et à la manière dont elle s’est construite.
La Data est un actif !
Isabelle Barth : Concrètement, quels seraient les premiers conseils que vous pourriez donner pour sortir les Data du frigo ?
Mick Levy : Le tout 1er conseil est d’en prendre conscience. La Data est un actif ! Les entreprises ont cherché à tout optimiser ces dernières années : moyens de production, processus, logistique, moyens humains (qui ont été énormément pressurisés). Beaucoup d’entre elles ont cependant laissé un tas d’or quasiment inerte !
2ème conseil : lancer rapidement de premiers cas d’usage. Il faut être très concret et faire de premières tentatives de valorisation des données.
Et 3ème conseil : organiser l’entreprise pour traiter la data comme un actif à part entière. Il faut alors créer ainsi une organisation autour du sujet de la valorisation de la Data et définir des processus dédiés. C’est ce que l’on appelle la gouvernance des données. Puis, on crée un système d’information en se dotant d’outils et de moyens technologiques pour arriver à en avoir une exploitation.
Isabelle Barth : Cela nécessite bien évidemment de se demander en amont à quoi cela devra servir. L’idée serait donc de remplir le réservoir d’une voiture et de savoir dans quelle direction la faire avancer ?
Mick Levy : C’est exactement cela. Il ne faut jamais perdre de vue les usages, voire le retour sur investissement obtenu à partir de ces usages ou la création de nouveaux services. Il est d’ailleurs essentiel de définir les indicateurs qui vont nous permettre d’orienter la définition et l’exécution de la stratégie data et IA de l’entreprise.
Isabelle Barth : Comme le disent les chercheurs, les données ne sont jamais données, elles sont construites ! Nous en arrivons à la même conclusion 😊 Merci Mick !
Mick Levy : Merci !
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